Lettres Ouvertes

🌌 Penser le futur. Proche & lointain

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Par Amaury Betton
9 avr. · 2 mn à lire
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L'IA nous rend-elle plus paresseux

Avec l'essor de l'IA, le monde du travail serait au début du métamorphose profonde. Si certains pensent que l'utilisation d'une telle technologie produira une nouvelle génération de travailleurs augmentés, d'autres pensent au contraire qu'elle nous rendra plus paresseux. Qui a raison ? Qui a tort ? Je tente de répondre à la question !

Comme tout le monde le sait, l’apparition des technologies numériques a profondément changé le monde du travail. Elle a aussi totalement transformé notre mode de vie (on fait quasiment tout en ligne aujourd’hui). De manière moins visible, nos capacités cognitives et facultés intellectuelles sont aussi profondément affectées.

La grande fracture numérique 

À ce niveau, il y a deux écoles : certains disent que le niveau intellectuel a littéralement plongé et qu’une “génération de chochottes” hyper-sensible, anxieuse, self-oriented, incapable de faire face à la moindre difficulté / contrariété, est apparue, pour reprendre les mots de Bret Easton Ellis, l’auteur d’American Psycho et de Less Than Zeroun écrivain américain qui a une grande place dans ma bibliothèque avec le flamboyant / terrifiant / hyper talentueux et regretté David Foster Wallace

D’autres disent que les conclusions sont beaucoup plus incertaines 🤷‍♂️ : l’être humain serait meilleur dans certaines tâches (réactivité, capacité à switcher très vite d’un sujet à l’autre, à créer des contenus) et moins bon dans d’autres (mémoriser, écrire, lire, se concentrer en général). 

Certains affirment encore que l’homme du passé en savait beaucoup sur peu de choses et que l’homme d’aujourd’hui en sait peu sur beaucoup de choses. L’homme contemporain serait, en quelque sorte, plus superficiel. 

De mon côté, je pense plutôt 🙋‍♂️ que les technologies numériques ont surtout eu pour effet d’aggraver les différences de niveau intellectuel entre les gens. Ceux qui les maîtrisent bien sont sans doute plus intelligents qu’avant. Ceux qui les utilisent mal sont encore plus idiots. Bref, la fracture augmente entre les deux groupes. 

Les inégalités ne s’accroissent pas qu’au niveau du portefeuille et du patrimoine, mais elles s’aggravent aussi dans la tête. Dans l’ensemble, l’impact serait plutôt négatif sur le QI moyen.

L’IA et la crise de sens 

Avec l’essor de l’IA, le sujet pourrait prendre une ampleur bien plus vaste. Pourquoi donc ? Parce que nous serions pour la première fois directement menacer dans notre intelligence. Or, nous nous sentons humains surtout en raison de notre intelligence. Ce qui nous permet de maitriser les tigres 🐅 n’est pas notre force physique, mais nos plus grandes facultés intellectuelles. 

De plus, nous sommes nombreux à retirer de la fierté à exceller dans le monde du travail. C’est un vecteur de stimulation et de reconnaissance. Pourtant, l’IA pourrait bientôt faire plein de choses à notre place. Des spécialistes de l’IA comme Geoffrey Hinton soutiennent que, d’ici 20 ans, l’IA nous dépassera dans plusieurs habilités cognitives, telles que la persuasion, la planification et les raisonnements scientifiques. 

Pour Katerina Lengold, entrepreneuse en neuroscience, nous allons prochainement faire face à une “crise de sens”. Selon elle, nous sous-estimons largement l’effet des changements que l’IA provoquera dans nos vies. 

Travailleurs augmentés vs. travailleurs diminués 

S’agissant des effets plus spécifiques de l’IA dans le monde du travail, deux écoles s’affrontent là encore : la première explique 🔊 que l’IA va produire des travailleurs augmentés. Selon ses disciples, il faudrait s’attendre à l’éclosion de toute une ribambelle de “juristes augmentés”, de “consultants augmentés” ou encore de “contrôleurs augmentés”. 

L’IA permettrait ainsi à l’homme de se libérer des tâches sans valeur ajoutée, le rendant plus créatif et plus productif dans son travail, lui permettant de travailler sur des tâches plus valorisantes. C’est le beau narratif des top exécutives pour vendre la technologie auprès de leurs équipes et réduire “l’IA anxiété” en train de monter chez les employés. 

La seconde école est beaucoup moins optimiste : au lieu de nous rendre plus productif, l’IA nous rendrait surtout plus paresseux 🦥. Notre nouvel “assistant” propulsé à l’IA ferait tout le boulot à notre place, ce qui ne nous inciterait pas du tout à vérifier ce qu’il fait, quitte à laisser passer de grosses erreurs. N’ayant plus aucune activité cérébrale, nos capacités cognitives se réduiraient, faisant encore plonger le niveau global, etc. Vous voyez l’idée. 

Un monde du travail en pleine métamorphose 

Pour l’heure les études menées ne permettent pas de trancher complètement entre les deux écoles. Ce qui est clair cependant, c’est que le monde du travail amorce une métamorphose. 

Dans cette optique, une étude conduite par Ethan Mollick, professeur à Wharton, une université de la Ivy League, montre qu’il y a un gain de productivité à utiliser l’IA dans certaines activités de conseil mais qu’il y a aussi, et c’est la face immergée de l’iceberg 🧊, le syndrome du conducteur qui s’endort au volant : le travailleur, doté d’une IA très performante, ferait aveuglement confiance à son IA assistant. 

Pour éviter ces écueils, deux voies sont à explorer selon moi : 

  1. Anticiper les conséquences de l’arrivée massive de l’IA sur nos capacités cognitives. C’est ce que fait, par exemple, le Neurointegration Institute et c’est ce qui aurait dû être fait avec les réseaux sociaux 🌐 qui ont des conséquences dévastatrices sur certains jeunes les plus facilement manipulables. 

  2. Travailler beaucoup plus en profondeur qu’aujourd’hui sur la manière d’intégrer l’IA tâche par tâche, et pas considérer un poste ou une fonction comme un bloc monolithique où l’IA peut être introduite from scratch sans aucun mode d’emploi, sans aucune co-construction avec l’employé qui l’utilisera in fine.

Bonne soirée,

Amaury