Les origines
Fondée en décembre 2015 par un groupe d’entrepreneurs et de chercheurs dont Elon Musk, Sam Altman, Greg Brockman, Ilya Sutskever, OpenAI est au départ un laboratoire de recherches, avec pour siège social le Pioneer Building de San Francisco. Il n’est pas question d’en faire un centre de profit ou de s’immiscer dans le club des géants de la tech.
Son objectif est alors de mener des recherches avancées sur l’IA, et l’intelligence artificielle générale (AGI) en particulier, avec un accent mis sur la sécurité et l’impact éthique des technologies. L’organisation est créée comme une entité à but non lucratif. Sa mission est de développer l’IA pour le bénéfice de l’humanité.
En mars 2019, un changement majeur intervient dans sa structure. OpenAI crée une entité à but lucratif limité (”capped-profit”), OpenAI LP, pour attirer plus de fonds et de ressources pour soutenir la recherche avancée sur l’IA et l’AGI, tout en limitant les gains financiers pour les investisseurs, dont les rendements sont plafonnés à 100x leur investissement initial. Après cette limite atteinte, tout profit supplémentaire est réinvesti dans la mission d’OpenAI.
Très concrètement, OpenAI dispose à partir de là et encore aujourd’hui d’une structure hybride avec une entité à but non lucratif, OpenAI Inc (non-profit) qui gouverne la mission, la stratégie et supervise OpenAI LP (for-profit, capped-profit) l’entité à but lucratif limité, qui regroupe la majeure partie de ses effectifs, pour poursuivre ses projets à grande échelle.
Le partenariat géant avec Microsoft
Alors qu’OpenAI vient d’adopter un modèle hybride, Microsoft réalise son premier investissement d’un milliard de dollars dans l’entreprise en juillet 2019. C’est le début d’un partenariat stratégique extrêmement important entre les deux entreprises. En janvier 2023, quelques semaines après le lancement de ChatGPT, Microsoft apporte 10 milliards de dollars supplémentaires.
Dans le cadre de ce partenariat, OpenAI utilise Microsoft Azure comme fournisseur exclusif d’infrastructure cloud nécessaire au développement de l’IA, accède à des ressources de calcul critiques pour entrainer ses modèles et peut commercialiser ses technologies à travers des produits largement utilisés, tels que Microsoft Office. En retour, Microsoft se positionne en tant que leader dans la course à l’IA. Pour Sam Altman, le partenariat avec Microsoft est la “meilleure bromance dans la tech”.
Mais les choses seraient en train de se dégrader quelque peu, notamment après le recrutement de Mustafa Suleyman par la firme de Redmond en tant que chef de la division “Consumer AI”. Le chercheur britannique était jusqu’alors le CEO et cofondateur d’Inflection AI, l’un des principaux concurrents d’OpenAI.
Chronologie du partenariat entre Microsoft et OpenAI depuis 2016 - Source : Aranca
Le changement culturel
Le lancement de ChatGPT fin novembre 2022 marque le début d’un changement culturel profond au sein d’OpenAI. Le robot conversationnel devient l’application à la croissance la plus rapide de l’histoire, devant Instagram et TikTok. En moins de deux mois, ChatGPT a déjà dépassé la barre des 100 millions d’utilisateurs actifs mensuels.
Le succès spectaculaire et imprévisible de ChatGPT entraine des dissensions importantes au sein d’OpenAI qui culmine fin 2023 avec l’éviction surprise de Sam Altman, son CEO, qui sera réinstallé 5 jours plus tard à la tête de l’entreprise. Deux lignes s’affrontent : la première défendue par ce dernier en faveur d’une innovation rapide, axée sur le développement commercial, et une autre plus conservatrice centrée sur la recherche.
Ce conflit interne se solde par de nombreux départs au plus haut niveau de l’organisation et le triomphe de la vision de Sam Altman. Les dernières défections en date sont très médiatisées. Mira Murati, CTO de l’entreprise, connue pour être l’architecte de ChatGPT, Bob McGrew et Barret Zoph, directeur et vice-président de la recherche, claquent la porte le 30 septembre. Sur les 11 fondateurs d’OpenAI, seuls deux travaillent encore dans l’entreprise. Ilya Sutskever, parti en mai 2014, a fondé Safe SuperIntelligence le mois suivant. Évidemment, tous ces départs retentissants pourraient avoir des incidences négatives sur la capacité d’innovation d’OpenAI, au moins à court terme.
Par ailleurs, l’équipe “superalignment” focalisée sur la sécurité des futurs modèles d’IA est dissoute en mai cette année, au moment du départ d’Ilya Sutskever. Selon la presse américaine, OpenAI chercherait désormais à se restructurer en une société d’utilité publique à but lucratif, comme Anthropic et xAI, une désignation spéciale qui lui permettrait de s’engager dans des objectifs destinés à améliorer la société et à apporter une valeur ajoutée aux actionnaires. Par ailleurs, l’organisation à but non lucratif continuerait d’exister mais sans superviser la nouvelle entité à but lucratif. Enfin, Sam Altman aurait, pour la première fois, des parts dans l’entreprise
Le changement culturel en cours se reflète d’ores et déjà au sein des effectifs d’OpenAI qui sont passés de 770 en novembre dernier à 1700 aujourd’hui. Beaucoup des nouveaux employés viennent d’entreprises technologiques traditionnelles, où ils ont occupé des postes dans des domaines aussi divers que les ventes et le support aux développeurs, par opposition aux communautés de chercheurs en IA dans lesquelles OpenAI a principalement puisé son personnel initial.
Autre point à noter : OpenAI entend renforcer sa présence aux États-Unis et son implantation internationale en Europe et en Asie pour développer son rayon d’action. L’entreprise va ouvrir des bureaux à New York, Seattle, Paris, Bruxelles, Singapour, aux côtés de ceux qu’elle possède déjà à San Francisco, Londres, Dublin et Tokyo.
Sa structure financière
Son bilan financier est très atypique. OpenAI gagne déjà beaucoup d’argent mais consomme énormément de cash en parallèle. Aujourd’hui, son activité n’est pas encore profitable et les coûts sont encore largement supérieurs aux revenus. Selon des informations du New York Times, l’entreprise devrait perdre 5 milliards de dollars cette année. Pour le dire autrement, OpenAI doit dépenser environ 2,35 dollars pour générer 1 dollar de revenu.
Il faut dire que les coûts d’entrainement et d’exploitation de ses modèles d’intelligence artificielle sont très élevés. Contrairement aux autres technologies numériques, l’IA nécessite énormément de capitaux. Il ne s’agit plus du tout d’un business “light en capital”. D’autres dépenses affectent également ses comptes, tels que les salaires des employés de plus en plus nombreux à payer, le loyer des bureaux, etc.
Côté revenus, l’entreprise a dépassé la barre des 2 milliards de revenus de CA en rythme annuel en décembre 2023. Avec un tel niveau, OpenAI fait d’ores et déjà partie des entreprises technologiques à la croissance la plus rapide de l’histoire. Seules Meta et Google ont franchi la barre des 1 milliard de dollars de CA une décennie après leur création. 3.7 milliards de dollars de chiffres d’affaires sont attendus par OpenAI en 2024.
Dans le détail, les revenus d’OpenAI se décomposent de la manière suivante :
ChatGPT Plus, Teams et Enterprise = 73% du CA, soit approximativement 2,7 milliards de dollars
Licences d’accès à ses services et modèles = 27% du CA, soit approximativement 1 milliard de dollars
OpenAI veut atteindre 11,6 milliards de dollars l’an prochain et 100 milliards en 2029, avec plus de la moitié du montant venant de ChatGPT. Pour donner un ordre d'idée, Microsoft génère environ 250 milliards de dollars de chiffre d’affaires chaque année, Google 300 milliards et Apple 400 milliards.
Les prévisions annuelles de revenus audacieuses d’OpenAI jusqu’en 2029 - Source : The Information
Conclusion
Au regard des éléments présentés, je pense qu’OpenAI a tout pour devenir une très grande entreprise, voire un géant de la tech et un leader mondial de l’IA, à condition de relever certains défis de taille. Moins de 10 ans après sa création (en tant que laboratoire de recherche), elle génère déjà près de 4 milliards de dollars annuels de revenus. Seules de très grandes entreprises telles que Facebook, Tesla, Alibaba ou encore Stripe, ont atteint un tel niveau de recettes en si peu de temps. Aussi, OpenAI est déjà valorisée à 150 milliards de dollars, soit la troisième plus grande start-up au monde, derrière ByteDance et SpaceX.
Pour autant, l’entreprise n’est pas encore profitable. Pour s’imposer, elle devra maîtriser ses coûts extrêmement importants, mais ne semble pas encore prendre cette direction. Alors que l’entrainement de GPT-4 aurait coûté jusqu’à 100 millions de dollars, les prochains modèles pourraient être encore plus coûteux. Mais ça n’a rien d’irrémédiable. Certaines entreprises comme OpenAI priorise la vitesse à l’efficacité / rentabilité de court terme. C’est la stratégie du blitzscaling, en référence à la blitzkrieg, la guerre-éclair. Selon Reid Hoffman, cofondateur de LinkedIn et inventeur du terme, il s’agit de “la science et l’art de développer rapidement une entreprise pour servir un vaste marché, pour devenir le pionnier à grande échelle”. Illustration : Amazon a enregistré des pertes abyssales pendant 7 ans avant de devenir le leader mondial du e-commerce.
Malgré tout, elle devra aussi proposer de nouveaux produits phares comme SearchGPT par exemple, eux-mêmes déclinés par secteurs d’activité, éducation, santé et finance notamment. Sam Altman travaille aussi avec Jony Ive, l’ancien designer d’Apple sur un nouvel appareil dopé à l’IA pour remplacer l’iPhone !
Un autre défi de taille pour OpenAI concerne sa gouvernance. Le changement culturel en cours se fait au prix fort avec une fuite de cerveaux de ses principaux chercheurs et fondateurs. “Nous ne sommes pas une entreprise normale” a récemment déclaré Sam Altman après le départ de Mira Murati. Le risque est que l’anormalité lasse les investisseurs.
Par ailleurs, la concurrence ne cesse de s’intensifier dans le secteur de l’IA venant à la fois d’autres startups comme Anthropic ou xAI et d’acteurs majeurs, tels que Google DeepMind, Amazon et Meta. Il n’est donc pas sûr que son statut de premier entrant sur le marché avec le lancement de ChatGPT confère à OpenAI un avantage compétitif durable. Par exemple, NotebookLM, l’outil d’IA de Google a fait le buzz ces derniers jours, prouvant que le géant de la tech était encore capable de sortir des produits de grande qualité. Pour autant, ChatGPT a encore une belle longueur d’avance sur ses concurrents. Il représente environ 80% du trafic web des autres chatbots d’IA.
Un autre point à prendre en compte concerne la réglementation croissante en matière d’IA, comme l’AI Act européen. Pour répondre aux attentes en termes de transparence, OpenAI publie d’ores et déjà des “System Cards” (Content and Algorithm Risk Détection) pour évaluer les risques de ses modèles.
Enfin, les progrès technologiques sont par nature difficilement prévisibles et encore plus dans le domaine de l’intelligence artificielle qui s’apparente de plus en plus à une course de vitesse. Il est donc tout à fait imaginable que la prochaine révolution vers l’AGI ne vienne pas d’OpenAI mais d’un concurrent, ce qui pourrait remettre en cause son rythme de croissance. D’un autre côté, la technologie pourrait également plafonner avec l’épuisement des données de bonne qualité.
Pour aller plus loin :
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Amaury